Le Cante

Publié le par AnA RUIZ CASTRO

Les chants les plus remarquables relèvent d’une culture privée créée et préservée dans quelques douzaines de familles gitanes de la zone Séville-Jerez-Cadix. Sédentarisées au 17ème siècle, ces familles ont ensuite fortement souffert de persécutions, dans une région très surveillée parce qu’exposée et sensible. Elles se constituèrent une double culture – culture de la souffrance, culture de la joie, sur laquelle leur identité gitane pouvait prendre appui, alors qu’il leur était par ailleurs interdit ne serait-ce que de se désigner eux-mêmes comme gitans. Il s’agissait pour l’essentiel d’une culture interne sans vocation initiale à être commercialisée.
Les chants de la souffrance et de la plainte constituent le cante jondo (ou « chant profond ») et forment trois groupes : les tonás, chantées sans guitare, relevant d’un fonds ancien, et dont subsiste une dizaine; les siguiriyas, chants de la douleur à la fois déployée et dominée, dont il existe trois douzaines,
et les soleáres, chants oscillant entre chagrin et mélancolie, dont on possède une cinquantaine. Ces deux derniers groupes de chants se répartissent dans un paysage géographique et familial maintenant bien connu au sud de Séville.
Les chants de la joie les plus anciens sont les tangos, largement éclipsés aujourd’hui par les bulerías, dont la floraison est inépuisable. S’y ajoutent, dans les mariages gitans célébrés en privé, les alboreás et, dans des réjouissances plus publiques, les cantiñas, romeras et alegrías. Ce domaine festif est volontiers ouvert à la danse, alors que, dans les chants de la douleur, celle-ci intervient peu.
Le versant andalou du cante se présente très différemment. Il vient pour l’essentiel d’un héritage de chants et danses folkloriques centré sur le fandango, chant à danser basé sur un rythme rapide à trois temps et dont il existe d’innombrables variétés locales. À partir de 1850 environ, ces fandangos ont été ralentis, et mis au service de l’expression d’émotions plus maîtrisées que celles exprimées par les chants gitans.
Cette dualité de répertoires se double d’une dualité de styles d’interprétation : plus intense, violent, déchirant, volontiers rauque du côté gitan ; plus maîtrisé, dominé et soucieux de plaire du côté andalou.

Juliette DELATTRE

Publié dans EL ARTE Flamenco

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